mercredi, mars 04, 2009

Le génie victorien

Connaissez-vous l'écrivain britannique Anthony Trollope (1815-1882)? Non? Vous devriez! Ce merveilleux romancier anglais est injustement méconnu du public francophone, parce que peu traduit dans la langue de Molière! À mon avis, pourtant, il a la stature d'un Dickens ou d'un Hardy.
De son vivant, il jouissait dans son pays d'une grande notoriété: on le respectait énormément! Auteur prolifique, il a produit pas moins d'une quarantaine de romans! On peut subdiviser ceux-ci en romans politiques, sociaux et sentimentaux. Deux cycles émergent: les «Chroniques du Barsetshire» (vie rurale) et les «Romans de Palliser» (vie citadine). Dans ces cycles, il s'impose comme le témoin privilégié de son époque, qu'il décrit avec une grande exactitude par son souci du «vrai».
Dans son «Autobiographie», Trollope révèle qu'il écrivait comme un fonctionnaire, c'est-à-dire avec régularité, en ayant pour seul souci de produire, sans éprouver le plaisir d'écrire. La Muse, donc, n'occupait pas une grande place dans son approche. Il avouait même avoir comme principale motivation le désir de s'enrichir le plus possible par ses oeuvres. [Le grand Balzac n'avait-il pas le même objectif en écrivant?] Trollope se voyait artisan, et non artiste. Hélas, malgré sa franchise, cet aveu lui a aliéné beaucoup de lecteurs, aux yeux de qui il rabaissait la littérature en en faisant un travail routinier, au même titre que celui d'un ouvrier. De plus, il était coupable d'écrire uniquement dans un but mercantile! Conséquemment, sa mort inaugura son entrée au «purgatoire» des auteurs. Heureusement, celui-ci a pris fin. En effet, depuis quelques décennies, il émerge à nouveau, le génie finissant toujours par s'imposer! Son oeuvre créatrice s'avère une source intarissable de longs récits à l'intrigue palpitante, aux personnages approfondis et aux dialogues étincelants! Voici ce qu'écrivait, peu de temps après sa disparition, le grand romancier américain Henry James: " Son grand, son incontestable mérite, c'est une totale compréhension du routinier... Trollope ''sentait'' en même temps qu'il la voyait la multiplicité du quotidien et de l'immédiateté ; il la sentait d'une façon simple, directe et salubre, avec sa tristesse, ses joies, son charme, son côté comique [...]. Il restera l'un des plus sûrs, bien que n'étant pas le plus éloquent, des écrivains qui ont aidé le cœur de l'homme à se connaître lui-même... Chanceuse est la race qui, comme celle de l'Angleterre, possède le sens de l'imaginaire dont a fait preuve Trollope." Quel bel hommage! Ayant le souci du détail, cet immense écrivain a laissé une oeuvre exceptionnelle par sa qualité et sa lucidité.
Je mentionnerai en terminant la parution (2008) en français de «Miss Mackenzie», aux éditions Autrement. Il s'agit ici d'un roman de moeurs d'une virtuosité magistrale! Paru originellement en 1865, il relate l'histoire d'une femme dans la mi-trentaine, à qui échoit un héritage appréciable. Celle-ci étant toujours célibataire, elle décide alors de mettre fin à sa vie monotone, marquée jusque-là par l'abnégation. Elle quittera Londres (en compagnie d'une nièce chérie) pour s'établir dans une petite localité où elle tentera de se faire une place au soleil. Disons au départ que la traduction est excellente! On retrouve dans cet ouvrage la maîtrise de l'intrigue de Trollope, la vérité psychologique de ses personnages, son goût pour la satire sociale et son humour discret. L'héroïne, Miss Mackenzie, devra sonder son coeur, afin de prendre les meilleures décisions pour mener une vie enrichissante, et non aliénante. Dans cette histoire, s'insère aussi un ingénieux dialogue avec l'auteur, qui ravira le lecteur! Ce roman est un délice pour l'esprit et un bienfait pour le coeur. Une réussite totale! Souhaitons que d'autres romans de Trollope nous parviendront en français!
L'étoile de ce grand écrivain victorien ne peut que continuer à monter au firmament des plus grands!