mercredi, août 15, 2007

Proust l'homme

Je crois pouvoir affirmer que l'homme Marcel Proust (1871-1922) est aussi riche et singulier que son oeuvre grandiose «À la recherche du temps perdu». Ce créateur génial était un être d'exception. On va même jusqu'à affirmer (et j'en suis!) qu'il est l'«Einstein de la littérature»! Ceux qui l'ont côtoyé de près ont tous été fortement impressionnés par sa personnalité, sa façon d'être et sa vive intelligence. Voici justement quelques témoignages fort révélateurs concernant l'homme et son oeuvre.
Colette
[À propos de «Du côté de chez Swann»]
"Tout ce qu'on aurait voulu écrire, tout ce qu'on n'a pas osé ni su écrire, le reflet de l'univers sur le long flot, troublé par sa propre abondance..."
Léon-Paul Fargue
"Il dégageait de la bonté amère."
Ramon Fernandez
"Cette miraculeuse voix, prudente, distraite, abstraite, ponctuée, ouatée, qui semblait former les sons au-delà des dents et des lèvres, au-delà de la gorge, dans les régions mêmes de l'intelligence... Ses admirables yeux se collaient matériellement aux meubles, aux tentures, aux bibelots; par tous les pores de sa peau, il semblait aspirer la réalité contenue dans la chambre, dans l'instant, dans moi-même; et l'espèce d'extase qui se peignait sur son visage était bien celle du médium qui reçoit les messages invisibles des choses."
Edmond Jaloux
"Il y avait (en 1917) dans son physique même, dans l'atmosphère qui flottait autour de lui, quelque chose de si singulier que l'on éprouvait à sa vue une sorte de stupeur. Il ne participait point à l'humanité courante; il semblait toujours sortir d'un cauchemar, et aussi d'une autre époque, et peut-être d'un autre monde: mais lequel?
[...]
À vrai dire, cette description ne me satisfait guère; il y manque ce je ne sais quoi qui faisait sa singularité: mélange de pesanteur physique et de grâce aérienne de la parole et de la pensée; de politesse cérémonieuse et d'abandon; de force apparente et de féminité. [...] On était à la fois en face d'un enfant et d'un très vieux mandarin."
François Mauriac
"Je revois cette chambre sinistre de la rue Hamelin, cet âtre noir, ce lit où le pardessus servait de couverture, ce masque cireux à travers lequel on eût dit que notre hôte nous regardait manger, et dont les cheveux seuls paraissaient vivants. Pour lui, il ne participait plus aux nourritures de ce monde. L'obscur ennemi dont parle Baudelaire, ce temps «qui mange la vie» et qui «du sang que nous perdons croît et se fortifie», se condensait, se matérialisait au chevet de Proust déjà plus qu'à demi engagé dans le non-être, et devenait ce champignon énorme et proliférant, nourri de sa propre substance, son oeuvre: Le Temps retrouvé."
Violet Schiff*
"L'étrange enchantement des nuits passées avec Marcel Proust nous a inspiré la conviction qu' aucun entretien diurne n'aurait pu avoir le même charme. [...] Rien de ce qu'il disait n'était insignifiant ou banal. Non qu'il fût tout le temps sérieux. Sa satire mordante ne provoquait nul sentiment de tristesse ou d'amertume. Il se mettait en scène dans sa conversation comme il le faisait dans ses livres, mais il ne parlait pas de lui."
*Amis de Proust, Violet et Sydney Schiff formaient un couple d'Anglais riches, cultivés et cosmopolites. Mécènes des écrivains et des artistes, ils furent les hôtes de la grande réception (souper) donnée en soirée à l'hôtel Majestic le 18 mai 1922, à l'occasion de la première du ballet «Renard», dont l'invité d'honneur était Stravinsky, compositeur de la musique du spectacle. Les autres invités de marque étaient principalement Diaghilev, Picasso, Joyce et Proust.

CITATIONS D'OUVRAGES SUR PROUST
"Proust, jugea Violet, était un remarquable exentrique, et non l'insupportable mondain qu'on lui décrivait, un satiriste mordant aux dons éblouissants de causeur et non un ennuyeux bavard. Le sentiment initial d'avoir affaire à un être d'exception ne faisait que se confirmer quand on le connaissait mieux. Rien de moins mystérieux que l'impression produite par Proust sur ses contemporains à partir de 1918. Ce qui donne un caractère d'exception à son existence, c'est la conviction ardente qu'il avait de sa vocation d'écrivain, son dévouement total à son art impliquant un renoncement à la vie de caractère presque masochiste. Mais si dès l'adolescence il a le sentiment confus de cette vocation, la force de celle-ci n'est devenue évidente qu'une fois qu'il eut maîtrisé ses doutes et ses craintes, vers la quarantaine."
-Richard Davenport-Hines, Proust au Majestic, Grasset, 2008, p.70 (traduit de l'anglais par André Zavriew)

[Portrait: «Proust» par Jacques-Émile Blanche]

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