vendredi, août 10, 2007

Chateaubriand ou la contradiction

Je me décide enfin à écrire sur Chateaubriand (1768-1848)! Il y a fort longtemps que je songeais à lire les célèbres «Mémoires d'outre-tombe». Je différais cette lecture à cause d'une certaine difficulté à pénétrer l'univers mental du grand homme. Depuis, j'ai mûri, littérairement parlant! Je commence enfin à goûter sa prose! Ces mémoires sont constituées de quatre parties composant 44 livres, plus un «supplément» documentaire. La dernière phrase de cette autobiographie est saisissante et prophétique: "Il est six heures du matin; j'aperçois la lune pâle et élargie; elle s'abaisse sur la flèche des Invalides à peine révélée par le premier rayon doré de l'Orient; on dirait que l'ancien monde finit et que le nouveau commence. Je vois les reflets d'une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu'à m'asseoir au bord de ma fosse; après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l'éternité." Wow! Ce n'est pas mal du tout! Monsieur Chateaubriand avait le sens de la formule! Les «Mémoires d'outre-tombe» sont encore et toujours considérées comme le maître-livre de Chateaubriand. Au début, il est question de son enfance bretonne; ensuite, il évoque la période révolutionnaire en France, puis le voyage américain, qui sera suivi de l'exil anglais. Enfin, c'est le retour en France! Dans le livre douzième, Chateaubriand n'oublie pas de nous faire part de l'importance qu'a eue l'Angleterre dans sa formation intellectuelle et littéraire. Plus le récit de sa vie avance, plus le personnage privé et le personnage public de l'auteur «s'interpénètrent»! On pense à la période consulaire et impériale. Il nous informera de ses démêlés avec Napoléon et des principaux épisodes de sa vie littéraire. Sous la Restauration, il traite de son action politique, ainsi que de ses grandes amitiés et ses relations littéraires. En passant, tout le livre vingt-neuvième est centré sur la personne de Madame Récamier! C'est révélateur sur son importance dans sa vie!
Ses relations de voyage comptent parmi ses plus belles pages! Dans le livre quarante-quatrième, il ose des réflexions «prophétiques» sur l'avenir du monde relayant la fin du «vieil ordre européen». Il relate les progrès de l'individualisme et le déclin de la société. Chateaubriand envisage ensuite un système «idéal» alliant monarchisme, christianisme et démocratie, rien de moins! Dans sa conclusion, il fait la récapitulation de sa vie.
Son autre grande oeuvre est «Le Génie du christianisme». C'est une immense réflexion sur l'originalité de la religion chrétienne. Son style y performe à son meilleur! Peut-être ambitionnait-il de reprendre sous une nouvelle forme l'«Apologie de la religion chrétienne», ouvrage inachevé de Pascal qui nous est parvenu sous l'état de notes qu'on a regroupées pour les éditer sous le titre immortel de «Pensées». Sans atteindre la profondeur de réflexion de Pascal, le livre a eu une immense portée en ranimant la foi de nombreux fidèles qui avaient relaché la pratique religieuse à la suite des convulsions révolutionnaires de la fin du siècle précédent. Dans la première partie, Chateaubriand commence par y traiter du lien nécessaire entre la foi et le sentiment de la nature. C'est toutefois les deuxième et troisième parties de l'oeuvre qui en sont le noyau, soit Poétique du christianisme et Beaux-arts et Littérature. Pour notre auteur, le christianisme trouve sa justification spirituelle dans sa dimension esthétique, car lui seul (mieux que toute autre spiritualité, philosophie ou mythologie) a su pénétré les secrets de l'âme et de la nature, nourissant ainsi l'inspiration poétique. Dans la quatrième et dernière partie, Chateaubriand tente de démontrer que le christianisme, de par sa vocation créatrice, s'avère historiquement comme la source irremplaçable du progrès de la civilisation. Selon moi, la thèse se vérifie, mais en partie seulement. On n'a qu'à penser aux profondes réticences de l'Église catholique à accepter les avancées de la science, celles-ci contredisant souvent les croyances chrétiennes. On en revient toujours à l'éternel débat entre Foi et Raison! Nonobstant les thèses contestables, il s'agit d'une oeuvre brillante sur le plan littéraire! C'est une raison suffisante, je crois, pour qu'elle soit lue par le lecteur assoiffé de beauté poétique à l'intérieur de la spiritualité!
Il ne faut pas perdre de vue que Chateaubriand se sait être une personne contradictoire, et l'admet volontiers! Par exemple, il est obsédé par la gloire, mais en même temps, il la trouve méprisable. Est-ce de la pose, ou est-il sincère? À chaque lecteur de fournir sa propre réponse! Une chose est sûre: Chateaubriand, par sa prose remarquable, nous invite à entamer une réflexion sur le sens de l'existence et la place qu'y occupe notre propre vie! C'est considérable!
[Portrait: «Chateaubriand» par Girodet]

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