samedi, mai 26, 2007

Sur George Sand

Elle s'appelait Aurore Dupin de Francueil. Pour des raisons d'ordre familial, elle a dû se choisir un nom de plume. C'est sous celui-ci qu'elle s'est rendue célèbre: George Sand (1804-1876), la Grande Dame des Lettres françaises! Je me réjouis qu'on la redécouvre aujourd'hui! Enfin, on ne la limite plus à ses romans champêtres!
Je sais qu'elle admirait beaucoup Jean-Jacques Rousseau, sachant toutefois faire la part des choses entre ses grandeurs et ses faiblesses. C'est peut-être après avoir lu «Les Confessions» qu'a germé en elle l'idée d'écrire un jour sa propre vie! Son autobiographie, «Histoire de ma vie», est, à mon avis, un chef-d'oeuvre de la prose française! À propos de ces mémoires, qui n'ont rien à envier à ceux de Jean-Jacques, voici ce qu'elle y écrit au début: "Je ne pense pas qu'il y ait de l'orgueil ou de l'impertinence à écrire sa propre vie, encore moins à choisir, dans les souvenirs que cette vie a laissés en nous, ceux qui nous paraissent valoir la peine d'être conservés." Réjouissant comme vision! Dans la même oeuvre, elle écrit, concernant la musique: "La musique est une langue universelle qui me jette dans des extases et des ravissements qui ne sont pas de ce monde." Cela nous prouve que sa sensibilité, comme tous les créateurs de génie, était très grande!
Étant femme, George Sand a dû toute sa vie s'affirmer contre vents et marées pour être reconnue pleinement comme écrivaine; la littérature étant vue à l'époque comme une chasse-gardée masculine. Elle dérangeait tellement qu'on l'a traînée dans la boue en la traitant de tous les noms (ex.: «vache à romans», «cabotine», «latrine», «goule»). On est sidéré aujourd'hui par la virulence des attaques, à l'époque! Dans le même ordre, le Saint-Office de l'Église catholique a relégué toute son oeuvre à l'index en 1863. On la considérait immorale! En fait, on lui reprochait de dénoncer trop ouvertement certaines aberrations en matière religieuse. Heureusement, le génie finit toujours par s'imposer! Le Temps, non seulement lui a donné raison, mais l'a couronnée en tant que grand auteur!
Ses romans et nouvelles reliés au monde des arts sont des joyaux quant au style et à la finesse de l'observation psychologique.
N'oublions pas qu'elle a fréquenté les plus grands créateurs de son temps, qui ont tous reconnu en elle une égale: Balzac, Dumas père et fils, Flaubert, Gautier, Musset, Tourgueniev, Liszt, Chopin, Delacroix et plusieurs autres. C'est à vous donner le vertige! De plus, il est à souligner qu'elle a beaucoup contribué, par son oeuvre et ses actions, à l'émancipation des femmes! Une avant-gardiste du mouvement féministe!
Ce n'est pas fortuit si Marcel Proust traite de ses oeuvres au début et à la fin d'«À la recherche du temps perdu». Elle a marqué l'enfance du Narrateur. Dans «Du côté de chez Swann», il écrit: "Je n'avais jamais lu encore de vrais romans. J'avais entendu dire que George Sand était le type du romancier. Cela me disposait déjà à imaginer dans François le Champi quelque chose d'indéfinissable et de délicieux." Plus loin, parlant de sa mère, il poursuit: "De même, quand elle lisait la prose de George Sand, qui respire toujours cette bonté, cette distinction morale que maman avait appris de ma grand'mère à tenir pour supérieures à tout dans la vie, [...], elle fournissait toute la tendresse naturelle, toute l'ample douceur qu'elles réclamaient à ces phrases qui semblaient écrites pour sa voix et qui pour ainsi dire tenaient tout entières dans le registre de sa sensibilité." Que c'est beau! Et très touchant! Quel bel hommage!
Une fois adulte, c'est elle aussi qui lui fait prendre conscience de sa vocation d'écrivain. Le Narrateur écrit:"Cet étranger c'était moi-même, c'était l'enfant que j'étais alors, que le livre [François le Champi] venait de susciter en moi, car, de moi ne connaissant que cet enfant, c'est cet enfant que le livre avait appelé tout de suite, ne voulant être regardé que par ses yeux, aimé que par son coeur, et ne parler qu'à lui. Aussi ce livre que ma mère m'avait lu haut à Combray presque jusqu'au matin avait-il gardé pour moi tout le charme de cette nuit-là."
Plus loin, notre Narrateur poursuit ses réflexions nostalgiques:"[...] si je reprends, même par la pensée, dans la bibliothèque, François le Champi, immédiatement en moi un enfant se lève qui prend ma place, qui seul a le droit de lire ce titre: François le Champi, et qui le lit comme il le lut alors, avec la même impression du temps qu'il faisait dans le jardin, les mêmes rêves qu'il formait alors sur les pays et sur la vie, la même angoisse du lendemain."
Donc, George Sand révèle au Narrateur jeune le monde de la Littérature et, une fois adulte, lui confirme sa vocation d'écrivain en «réveillant» en lui le souvenir capital relié à la lecture de «François le Champi» par sa mère! Très fort!
De George Sand, tout est à lire: romans, nouvelles, articles, correspondance et autobiographie. Je mentionnerai tout de même quelques oeuvres de fiction qui ont établi la renommée littéraire de notre auteure: «La Mare au diable», «François le Champi», «La Petite Fadette», «Indiana», «Lélia», «Consuelo», «La Comtesse de Rudolstadt», «Mauprat», et «Nanon».
Personnellement, j'ai beaucoup apprécié les titres suivants: «La Marquise», «Les Maîtres mosaïstes», «Pauline» et «Horace».
Voici enfin quelques biographies qui aideront le lecteur à mieux connaître et comprendre cette femme extraordinaire:
-Lélia ou la vie de George Sand, par André Maurois
-George Sand, par Francine Mallet
-George Sand ou le scandale de la liberté, par Joseph Barry
-George Sand la somnanbule, par Hortense Dufour.
Pour mieux comprendre sa vision des choses, j'aimerais maintenant donner deux citations de George Sand sur sa conception de l'Art.
"L'art n'est pas une étude de la réalité positive; c'est une recherche de la vérité idéale." [in La Mare au diable]
"L'art est une démonstration dont la nature est la preuve." [in François le Champi]
George Sand adorait la vie; elle la vénérait! Sa vie comporte quelques grandes passions amoureuses. Toutefois, ce qu'elle considérait par-dessus tout, c'est l'amitié et la littérature. Voici ce qu'elle écrivait sur l'amitié au début de son roman «Horace». "Les êtres qui nous inspirent le plus d'affection ne sont pas toujours ceux que nous estimons le plus. La tendresse du coeur n'a pas besoin d'admiration et d'enthousiasme: elle est fondée sur un sentiment d'égalité qui nous fait chercher dans un ami un semblable, un homme sujet aux mêmes passions, aux mêmes faiblesses que nous. La vénération commande une autre sorte d'affection que cette intimité expansive de tous les instants qu'on appelle l'amitié. [...] Mais le plus doux de tous les sentiments humains, celui qui s'alimente des misères et des fautes comme des grandeurs et des actes héroïques, celui qui est de tous les âges de notre vie, qui se développe en nous avec le premier sentiment de l'être, et qui dure autant que nous, celui qui double, étend réellement notre existence, celui qui renaît de ses propres cendres et se renoue aussi serré et aussi solide après s'être brisé; ce sentiment-là, hélas! ce n'est pas l'amour, vous le savez bien, c'est l'amitié." Voilà une vision très touchante de ce beau sentiment, n'est-ce pas? En fait d'amitié, justement, voici ce que disait d'elle un ami très cher, Alexandre Dumas père: "Génie hermaphrodite, qui réunit la vigueur de l'homme à la grâce de la femme; qui, pareille au Sphinx antique, vivante et mystérieuse énigme, s'accroupit aux extrêmes limites de l'art avec un visage de femme, des griffes de lion, des ailes d'aigle." Portrait coloré, mais ô combien admiratif, par l'auteur du «Comte de Monte-Cristo»! C'est ici un bel exemple d'interpénétration entre l'amitié et la littérature, une sorte de synthèse de George Sand et de son action créatrice! Car, précisément, cette Grande Dame nous invite, en la lisant, à partager son bonheur de vivre! Elle propose à chacun de trouver et de réaliser sa propre vocation! Soyez-en remerciée, Madame Sand!

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